« Parle-moi de toi… » Jacob jeta un regard à la créature blonde, nue sous les draps alors qu’il se rhabillait déjà. L’aube s’était installée depuis peu, il avait pris le temps de prendre un café dans cette cafetière qui ne lui appartiendrait jamais. Une douche aussi, dans cette salle de bain qui n’était pas la sienne. Il boutonna le dernier bouton, laissant tout de même la descente de sa gorge libre, en bon charmeur.
Il lui lança un sourire. Il ne se souvenait déjà plus de son nom, même si il l’avait fait parler d’elle, une méthode parmi tant d’autres. Il jeta un coup d’œil dans le miroir et fut presque surpris du reflet qu’il il trouva, ne se rappelant pas avoir sorti le jeu du beau Français ténébreux aux yeux bleus la veille, mais cette vérification lui permit de ne pas se tromper d’accent quand il lui répondit. « Il n’y a rien à dire, malheureusement. » C’était la version très polie, très Jacob pour dire que ça ne la concernait pas. Il détestait prendre l’accent Français quand il parlait anglais. Normalement il n’en avait aucun, sa mère américaine lui ayant toujours parlé sa langue. Il se forçait et à ses yeux, et non pas aux oreilles des dames, ce n’était pas naturel et au fond, ça lui rappelait des souvenirs, pas forcément bon. La voix aigüe et mielleuse de la créature lui demanda si ils se reverraient alors qu’il était déjà à la porte du petit appartement, elle enroulée dans ses couvertures. « Oui, je te rappelle » déclara-t-il après l’avoir jaugée. Mais bien sûr, à chaque fois qu’il disait ça, ça voulait dire non, gentiment encore.
Une fois dans sa voiture ce qu’il y avait de plus normale (enfin, si on pouvait dire, étant donné qu’une Lamborghini noire n’est pas vraiment ce qu’on appelle banal) il jeta un coup d’œil dans le rétroviseur et retrouva son apparence normale. Ses cheveux bruns-blonds-roux habituels bel et bien éloignés des noirs qu’il avait auparavant.
De nombreuses femmes auraient jaugée, avec raison, qu’il n’avait besoin de rien changer pour pouvoir les mettre dans leur lit, mais ça l’amusait. En fait, il lui semblait qu’il ne s’était jamais montré tel qu’il était réellement pour ces courtes aventures d’une nuit. Il trouvait qu’il ressemblait trop à son père, ça le complexait.
Une fois rentré chez lui, il prit dans ses mains, l’histoire d’un instant, un cadre d’argent dans lequel était une photo en noir et blanc. S’était un enfant, 6 ans maximum, dans les bras de sa mère. C’était la seule image qu’il avait de son paternel. Image physique en tout cas car il n’était mort que quand Jacob avait 12 ans, mais ses souvenirs étaient tous mauvais. En fait il gardait la photo surtout pour sa grand-mère, Rachel, aussi mère que mamy juive dans le comportement. S’était d’ailleurs grâce, ou à cause, d’elle qu’il s’appelait ainsi. Même une femme au caractère aussi fort que sa propre mère n’avait rien pu y faire. Les deux femmes étaient en conflit permanant, et le petit-fils n’avait pas vu la vieille dame depuis la mort de son père. En fait, il ne savait même pas si elle était encore en vie.
Quand il entra dans sa chambre dans le but de se changer et de corriger les copies qui lui restaient (c’était les petites vacances universitaires, il rentrait chez lui en ces occasions) il trouva les feuilles dans tous les sens et une adorable frimousse en train de sauter sur son lit. Dès qu’elle le vu Amandine se jeta sur lui en criant un « -TOOOOOTOOOOOOOONN COOOOB ! » magistral à en réveiller les morts.
Sa nièce avait le don d’invisibilité. Elle avait beau n’avoir que 4 ans, quand elle voulait aller chez son oncle, elle y arrivait toujours, les maisons étant voisines, il lui suffisait d’échapper à la surveillance de sa mère ou de sa nounou pour venir s’amuser avec la chienne (elle passait par le trou qui lui était normalement destiné pour enter.)
Jacob dévora sa nièce de bisous. Techniquement, il n’avait ni sœur, ni frère, mais il avait été élevé aux côtés de sa cousine Marianne et ils étaient si proches qu’ils ne faisaient aucune différence.
« -Qu’est-ce-que tu fais là petite chipie ? » demanda l’homme avec un sourire aux lèvres.
« -Ze suis venue voir Tiki ! » Tinkerbelle était le nom de son labrador, qui en entendant la gamine entrer avait dû s’enfuir loin et vite. C’était une vieille chienne bien trop gentille pour grogner, elle se cachait donc dès qu’il y avait un danger à couettes qui entrait dans la pièce. Elle était aussi l’une des dernières choses qui lui restait de son père, il lui avait offert pour ses douze ans, justement, et à 17 ans elle battait des records de longévité.
Il alla s’assoir sur l’un des larges fauteuils du salon, sa nièce sur les genoux. Le monstre étant maîtrisé, Tinki comme il l’appelait vint s’assoir à ses pieds, surveillant d’un œil vitreux l’enfant.
«- LE CHIIIIEEEEN !!!
-Laisse-là choupinette , elle est âgée et fatiguée, lui dit Jacob en la retenant avec un sourire.
-Mais elle à pas de rides, elle est pas vieille alors !, protesta vivement Amandine, obsédée par son idée de jouer avec cette pauvre chienne.
-J’ai pas de ride mais je suis vieux moi ! Lui répondit son oncle, une petite idée en tête.
-Naaaan, t’es pas viiiiieeeux !
-Même là ? » Il avait utilisé son Don pour se vieillir d’un coup, peut-être en exagérant un peu sur les rides, si bien que sa nièce déclara que si il était violet il ressemblerait à un pruneau, ce qui fut réalité juste après, car un prof de métamorphose, même si ça vous le déconseille vivement, ça sait transformer sa tête en prune séchée.
La gamine tourna vivement la tête en disant qu’il était moche et qu’elle voulait plus voir. Et elle fit disparaitre ses yeux, peut-être involontairement, peut-être pas pour le coup. Là ce fut le tonton qui lui répliqua qu’elle faisait peur comme ça et le rire rétablit tout à la normale.
Puis, avec le talent qu’on connait aux enfants, elle prit soudainement une tête très sérieuse, signe avant-coureur d’une question existentielle.
« -Dis il est où ton papa ? J’ai vu ta maman, mais pas ton papa. Ma maman elle dit que mon papa il est avec les anges, mais le tien à toi il est où ? »
Ouuuuch, ça c’était la question qui faisait mal.
La réponse était simple à vrai dire, mais l’histoire un peu moins.