Colère. Haine. Frustration. Déchrirement. Tout un tas de sentiments qui s'enchaînaient, se bousculaient dans la tête du jeune homme. Cela faisait déjà deux semaines. Deux longues semaines, qui avaient apparues une éternité à Will. Il avait passé son temps à se défouler en cours de sport, et même durant ses pauses, il y restait. C'était la seule manière qu'il avait trouvé pour évacuer sa haine contre lui-même. Pourquoi avait-il fallu qu'une inconnue lui saute dessus au moment où la femme de sa vie entrait dans sa chambre? Il n'avait même pas eut le temps de réagir. Mais malgré tout, il remettait la faute sur lui-même, et personne d'autre. Les regrets se mélangeaient aux divers sentiments qui l'assaillaient. Et chaque seconde, sa souffrance se révélait.

Un coup. Deux coups. Trois coups. Le jeune homme frappa de toutes ses forces sur le pushing ball, et ce qui devait arriver arriva: il se détacha, et tomba violemment sur le sol, sous le coup plus fort que d'habitude de Will. Son énervement n'était pas calmé. Il avait beau frapper et frapper, rien n'y faisait. Sa main commençait à le faire souffrir, après deux heures de défoulement, mais il sen moquait. L'image de la femme qu'il aimait restait gravée dans ses pensées, et le hantait à n'en plus finir. Tout à l'heure, le prof Gottman est venu, pour vérifier s'il était toujours vivant. Il n'avait pas ouvert la bouche et s'était contenté de continuer à frapper. Elle le motivait et essayait de lui donner la force de se battre pour récupérer Alix, mais malgré ses tentatives, rien n'y avait fait. Il perdait espoir petit à petit. Puis, ce fut son meilleur ami qui était venu. Mais cela n'avait rien changé d'autre. A part frustrer encore plus le jeune homme qui repensait de plus en plus à Alix. Chaque lieu, chaque personne, chaque objet, lui faisait remémorer l'histoire qu'ils avaient vécus. Il aurait souhaité être aveugle, et ne plus remarquer les souvenirs par le biais de n'importe quelle chose.

Will avait pensé sécher les cours pendant plusieurs jours, et retourner chez ses parents quelques jours pour se changer les idées, mais la fuite n'était qu'une solution de facilité, et il se refusait à s'y employer. Il n'était pas faible, et il fallait le prouver. Mais à qui? Alix ne lui adressait plus la parole, et l'avait rayé de sa vie. Aucune autre personne n'importait. Alors il se plongeait dans le sport et le silence. Mais l'idée de vivre sans Alix lui était insupportable.

Des bruits de pas se firent entendre, le jeune homme ramassa le punching-ball, et le poussa dans un coin. Il enleva les bandages à ses mains, et les jeta au fond de son sac. Il fallait partir. Il n'avait aucune envie de voir quelqu'un d'autre, et préférait partir de l'enceinte du château. Alors que la porte principale du gymnase s'ouvrait sur un élève de seconde année, Will avait déjà ouvert la fenêtre et s'envolait dans le ciel qu'il connaissait tant. Il filait, telle une fusée, vers le haut de l'étendue bleu, parsemée de quelques nuages. L'hiver était bientôt fini, et les beaux jours s’annonçaient, mais pas pour lui. Sans Alix, le monde n'était qu'un nuage noir, qui s'installait au dessus de sa tête.

Plus il allait haut, plus il libérait sa colère contre lui-même. Mais plus le froid se faisait ressentir. cependant, il n'avait que faire du froid, la seule chose qui hantait ses pensées, n'était autre qu'Alix. Alix qui avait tiré un trait sur lui et sur leur histoire. Alix, qu'il aimait tant, mais qu'il avait trahi. Alix, qui ne lui adresserait plus jamais la parole. Alors que la rage s'atténuait à l'image de l'amour de sa vie, ses membres s'engourdissèrent et il avait de plus en plus de mal à respirer. C'était le signal pour redescendre. Il arrêta sa folle course, et redescendit.

Il attérit près du village. Il inspecta les environs et ne vit que quelques habitants,qui allaient et venaient d'une maison à une autre. Aucun étudiant de Castel Orilla en vu. Tant mieux. Il marcha alors à l'aveuglette, sans faire attention au chemin qu'il empruntait. Et au bout de quelques minutes, il arriva devant une grotte qu'il connaissait bien. Celle de Tlaloc. La grotte avec qui il venait souvent avant, avec... Alix. Il eut un pincement au coeur, mais emprunta le dédale. Il sentait qu'il devait y aller. Fuir ne servait à rien, il fallait affronter et ses démons.

Alors qu'il déambulait, entouré des façades de la grotte, il entendit des bruits de pas. Il les suivit, et alors qu'ils s'arrêtèrent, Will continua, au hasard, et arriva à un endroit qu'il connaissait bien, où il se rendait souvent auparavant avec... Alix. Il s'en approcha, sans y entrer et entendit ces quelques paroles, qui le firent frissonner:

...en prie. Faîtes-moi l'oublier. Je l'aime tellement... Mais je ne veux plus avoir aussi mal.

Will n'en croyait pas ses oreilles. C'était bien la voix de celle qu'il aimait, mais était-ce seulement possible? Elle lui montrait chaque jour qu'elle ne ressentait plus rien pour lui, et voilà qu'elle disait tout le contraire. Le jeune homme était paralysé par la surprise. Mais quelques secondes plus tard, il fit demi-tour. Trop abasourdi par ce qu'il venait d'entendre, il ne savait pas comment réagir, ni quoi penser. Il sorti de la grotte, et marcha encore, se dirigeant vers le village.

A genoux sur le sol de la grotte, les mains jointes posées sur ses genoux, la jeune femme laissait couler ses larmes. Toute la pression de ces dernières semaines s'échappait, s'envolait. Cet amour qu'elle avait toujours pour Will et qui la rongeait de l'intérieur semblait enfin prête à la laisser tranquille. S'essuyant les joues, elle entendit du bruit derrière elle. Se retournant, elle vit une ombre disparaître. Qui pouvait l'avoir entendue ? Elle se leva rapidement, récupéra son sac et sortit, les yeux rouges et les joues humides. Lorsqu'elle fut sortie des grottes de Tlaloc, elle s'arrêta, interdite. L'ombre était celle du jeune homme qu'elle voyait s'éloigner à grands pas. Et elle connaissait cette silhouette par coeur, pour en avoir dessiné le contour, du bout des doigts, nombre de fois. Elle déglutit. Elle devait se délivrer de cette emprise que Will avait toujours sur son coeur. Si elle s'en défaisait, elle serait enfin libre. Et pour s'en défaire, rien de mieux qu'une confrontation. Elle inspira profondément et transplana. Juste devant lui, lui coupant la route.

Debout devant lui, Alix plongea son regard dans les yeux magnifiques du Condore. Elle s'avança et, sans que le jeune homme ait pu dire un mot, elle le gifla.

- Ça, c'est pour tout le mal que tu m'as fait ! cria-t-elle, sentant toute la rage des dernières semaines refaire surface, alors qu'elle la croyait profondément enfouie. Elle trouva alors la force de lui dire ce qu'elle avait trop longtemps gardé pour elle. Comment tu as pu me faire ça ? Je t'aimais, moi ! Tu entends, Will ? Je t'aimais ! Devait-elle ajouter qu'elle l'aimait encore ? Non, c'aurait été une trop grande preuve de sa faiblesse.

Alix serra les poings. Ses jointures craquèrent. C'était le pompon. Elle s'était blessée en voulant le blesser lui. Elle espérait lui avoir cassé au moins une dent. Comment avait-il pu agir ainsi ? Elle avait mis toute sa confiance en lui, dès leur premier baiser. Elle lui avait aveuglement fait confiance. Comment avait-elle pu être aussi naïve ? On ne pouvait pas faire confiance aux garçons. Mais pourquoi avait-il fallu qu'il embrasse cette pouffe ? Alix comprit alors... Elle avait refusé qu'ils fassent l'amour, parce qu'elle n'était pas prête. Elle voulait attendre, mais c'était à lui, qu'elle voulait offrir le plus beau présent qu'une femme puisse faire. Elle voulait lui offrir sa jeunesse. Elle avait voulu... Et lui n'avait pas été capable d'attendre. Il avait préféré se taper une.... une... Les larmes montèrent aux yeux de la Guanaco. Comment avait-il pu passer si rapidement à autre chose, après tout ce qu'ils avaient partagé ? Alix revoyait encore les délicieux moments passés au lac, leur anniversaire.. Elle s'était vue dans plusieurs années, la bague au doigt, à voyager à ses côtés. Ils s'étaient promis de faire le tour du monde. Alix avait tant envie de lui faire découvrir ce monde qu'elle aimait tant, dans sa diversité et son unicité. Elle aurait voulu qu'il voit ce qui l'avait construite. Mais non, monsieur n'avait pas été capable d'attendre.

Elle ouvrit la bouche et cracha l'injure qu'elle gardait contre son coeur, dès qu'elle l'avait vu avec cette fille.

- Connard !

La colère, la souffrance d'Alix, tout se mélangeait en elle. Elle avait envie de le frapper encore une fois, de le pousser du haut d'une falaise, de le regarder se faire manger par des crocodiles. Et... elle voulait tellement l'embrasser, se jeter contre lui, le serrer dans ses bras, sentir sa chaleur contre la sienne. NON ! Ne pardonne pas si facilement. Son coeur et son esprit s'opposaient. Elle allait partir, lorsque Will prit ses mains. Il plongea ses yeux dans son regard et parla. Alix écouta chacun de ses mots, mais elle ne savait pas comment réagir.

- (...) Tout ce que tu me demanderas pour pouvoir au moins te voir chaque seconde. T'admirer sans arrêt. simplement sentir ta présence près de moi. Parce que je t'aime.
- Et tu pouvais pas y penser avant ? Avant d'embrasser cette fille ? Si tu m'aimais comme tu le dis, tu ne m'aurais pas fait aussi mal ! Les larmes coulèrent de ses yeux. Mais elle continua, retirant vivement ses mains de celles de Will. Tu sais quoi ? Tu m'as brisé le coeur ! J'en n'air rien à faire, de tes excuses ! Et si tu dois m'aimer toute ta vie, alors tu souffriras toute ta vie ! Parce que je ne suis pas prête à te pardonner d'avoir envoyé valser tout ce que nous avions construit. Si tu avais voulu du temps pour réfléchir à propos de nous, je t'en aurais donné ! Comment veux-tu que je te crois, maintenant ? Tu dis m'aimer, mais tu m'as prouvé tout le contraire !

Alix s'approcha de lui, sans le lâcher des yeux. Les larmes coulaient sur ses joues. Elle posa sa main sur le bras de Will et ils transplanèrent. Tout autour d'eux changea. Alix ne le quitta pas des yeux. Elle sentait, en son coeur, qu'il s'agissait de la dernière fois qu'ils partageraient quelque chose. Et elle voulait qu'il la voit détruire à petit feu tout ce qui les liait, les uns après les autres. Si elle avait su combien elle se trompait, elle ne se serait pas imposé une telle épreuve... Autour d'eux, il faisait froid. Les montagnes s'élevaient au-dessus du lit de nuages, perçant l'horizon de leurs sommets enneigés. Bien qu'il fasse près de moins 8 000 degrés, Alix ne ressentait pas le froid qui lui mordait les joues, les doigts, les oreilles. L'inflammation dans son coeur suffisait à la réchauffer. Elle sentait comme une immense brûlure incurable, qui détruit un peu plus à chaque minute qui passe. Sa vie s'effondrait. Du moment qu'elle ne faisait pas face à Will, elle pouvait toujours se convaincre que rien ne s'était passé, que tout cela n'avait été qu'un mauvais rêve, ceux dont on se réveille avec une étrange impression, mais dont on sait qu'ils n'ont rien de réel. Maintenant qu'ils étaient l'un en face de l'autre, Alix ressentait comme un couteau enfoncé dans une plaie. Elle devait l'affronter, nul moyen de fuir encore. Ils étaient au sommet du Mont Blanc, en France. Sa mère et son beau-père l'y avaient amenée, quelques années auparavant. Ils avaient fait du ski dans l'une des stations les plus huppées et Alix en avait profité pour transplaner au sommet, mémorisant l'endroit. Peu de temps après, elle avait reçu une lettre de Will, lui disant à quel point il l'aimait. Ce jour-là, était le 14 février. Et Alix avait voulu marquer le coup. Elle avait transplané jusqu'au sommet du Mont Blanc et avait mis la carte de Will dans une boîte, avant de mettre la boite dans la neige, en espérant qu'elle résiste aux intempéries.

Alix avança dans la neige et s'agenouilla près du rocher qu'elle avait gardé en mémoire, comme le gardien de son amour pour Will. A mains nues, elle fouilla dans la neige et finit par en extirper une petite boîte en bois ouvragé. Elle se releva, les mains gelées, les joues rosies par le froid. Elle ouvrit la boite sans un regard pour Will et en sortit la carte postale au dos de laquelle était le message d'amour de Will, pour la Saint-Valentin de leur première année. Alix regarda le beau Condore, plongeant son regard empli de tristesse mais aussi de colère dans le sien, puis, sans détourner la tête, leva la main et laissa le vent emporter le morceau de carton décoré de photos et de l'écriture du jeune homme. Un jalon en moins. Alix laissa la boîte retomber sur le sol. Une larme de plus.

Elle s'approcha de Will et, sans ménagement, l'attrapa par le bras et transplana de nouveau. Leurs premières vacances d'été ensemble. Le couple quitta la pénombre d'une rue parallèle et se retrouva sur Queen's Street, dans un des quartiers de Toronto, où la mère d'Alix habitait. Will était déjà venu maintes fois, mais ces vacances-là avaient été les premières. En face d'eux, de l'autre côté de la rue, un petit magasin avec un escalier menant au sous-sol, où étaient entassés nombre de vêtements des années 60, 70, 80, 90. Ils y avaient passé tellement d'heures, à essayer toutes les horreurs du siècle passé. Alix avait acheté plein de vêtements dans cette friperie datée. Elle portait d'ailleurs les boucles d'oreilles en fausses perles dénichées entre des lunettes copiées sur celles de John Lennon et un corset vert fluo. Une larme roula sur sa joue. Elle se rendit compte qu'elle n'avait pas lâché le bras de Will. Et, étonnamment, ce voyage en arrière, ce retour sur leurs traces, n'eut pas l'effet escompté. Pour elle, ce devait être un voyage d'adieux. Un moyen de dire au revoir à Will, pour toujours. Un moyen d'oublier tout ce qu'ils avaient partagé ensemble. Visiblement, ce n'était pas ainsi que les choses devaient se passer, car Alix glissa sa main dans celle de Will, sans détacher les yeux de la petite friperie canadienne. Ils transplanèrent de nouveau, reprenant leur place dans les rues du village, devant la grotte de Tlaloc. Alix se détacha de Will. Elle essuya ses larmes et ne releva pas la tête. Elle ne savait plus ce qu'elle devait faire. Son coeur lui hurlait d'arrêter de se battre, d'accepter qu'elle lui avait pardonné dès qu'il lui avait sourit timidement, le lendemain. Elle ne pouvait vivre sans lui. Tout ce qu'il lui avait dit, elle le ressentait pour lui. Leur amour était égale. Tous deux étaient une drogue pour l'autre. Elle avait vécu les dernières semaines comme un long combat. Contre elle-même. L'unique obstacle face à son bonheur était sa Raison. Mais tout le monde savait parfaitement qu'on n'est pas heureux en raisonnant. Se laisser guider par ses sentiments, c'est comme ça qu'on atteint le bonheur. Elle devait arrêter de réfléchir.

- Mais pourquoi est-ce que je t'aime encore ? hurla-t-elle alors en se tournant vers lui, ivre de colère et d'amour.