Cédric est né un 1er août, sous le soleil brûlant du Liban. Sa mère, Julia Uboldi, Italienne de naissance, professeur de fonction et au don de métamorphose, accouchait de son troisième enfant. Valentino et Noma, respectivement neuf et quatre ans se réjouissaient de l'arrivée d'un petit dernier à qui ils pourraient apprendre à faire du football, à pédaler à toute vitesse, à grimper dans les arbres. Son père, Icham Raïm, Libanais de naissance, banquier de fonction et au don d'intelligence sur-développée, accueillit ce petit dernier sans un sourire. Son couple avec la jolie italienne battait de l'aile depuis des mois et il savait parfaitement qu'un enfant n'arrangerait rien. Et ce fut le cas. Mais ce fut extrêmement long. Lorsque Cédric a sept ans, la famille quitte Bayrouth et part s'installer à Monaco, pour les besoins du travail d'Icham. Julia, plus proche de son pays natal que jamais, passe très souvent la frontière pour renouer avec ses anciens amis, sa famille, perdus de vue depuis si longtemps. Valentino et Noma sont à l'étranger, l'aîné à Kampala, la benjamine à Prague. Et reste Cédric. Heureusement que ses pouvoirs se sont développés pendant son enfance et qu'il est parti à Ho Chi Minh Ville pour son primaire, car ses parents ne se seraient pas fait prier pour le laisser seul et vaquer à leur occupations. Cédric le sent bien, Julia et Icham s'éloignent de plus en plus. Leur vie n'a plus rien de drôle, ils n'ont plus aucun geste affectueux l'un pour l'autre et chaque fois que les enfants rentrent, pour les vacances, ils sont témoins d'affreuses scènes de ménage. Valentino commence à rentrer de moins en moins à la maison, passant d'abord la Toussaint à l'école, puis les vacances de février, puis celles de Pâques et pour finir, comble pour une famille, il finit par ne plus rentrer pour Noël. Et l'année de ses dix-sept ans, il ne rentre pas de l'été, sans donner la moindre nouvelle. Même si Julia et Icham ne s'entendent plus très bien, ils sont suffisamment intelligents pour comprendre que leur mode de fonctionnement a eu raison de la patience de leur fils aîné dont le bouillant sang italien a vite refait surface. Icham utilise son argent pour envoyer des émissaires à la recherche de Valentino qui a rapidement fait de comprendre que son père le cherche. Car en plus d'être le fils aîné, Valentino est l'héritier de la fortune Raïm. Et Icham n'est pas prêt à laisser son argent entre les mains d'un petit garçon frêle et chétif, tout le temps la tête dans les nuages et la tête pleine des prochaines blagues à faire. Non, Cédric ne sera pas l'héritier Raïm.
Un jour de printemps, l'année suivante, Valentino revient à Monaco, une petite surprise dans ses bagages. Il amène avec lui une magnifique Indienne, Swahi, qui exhibe fièrement le simple anneau en argent qui entour son doigt. Icham ne comprend pas. Pour lui, une demande en mariage ne se fait pas sans l'avis de son père et, avec la fortune que Valentino peut posséder, jamais il n'aurait osé offrir seulement un anneau en argent pour alliance. Et c'est pourtant le cas. Valentino fait vite comprendre à son père qu'il n'a nulle envie d'être un héritier fortuné, que l'argent n'attire qu'ennemis et convoitises et que même si son épouse est de condition très modeste, il a trouvé un poste de facteur à Bombay et ils ont déjà un petit pied-à-terre.
Pour Cédric, c'est une révolution. C'est la première fois qu'un des trois enfants Raïm-Uboldi ose lever la voix contre leur père. Icham l'ignore, mais il vient de perdre toute crédibilité envers son cadet. Mais le caractère fort et dominateur du patriarche libanais aura vite raison des molles rêveries et des vagues désirs du petit garçon.

Lors des années en République Tchèque ou à Kampala, Cédric est un peu le souffre-douleur. Renfermé, grognon, asociale, nul élève ne vient vers lui. Il réussit ses examens au raz des pâquerettes et entre à Orilla, mais à reculons. Il n'a aucune envie de faire de longues études. Son rêve à lui, c'est l'Ecole du Cirque de Pékin. Il est agile, gracieux, c'est l'unique chose à laquelle il veut vouer sa vie. Mais il doit prendre son mal en patience. Et c'est là qu'il rencontre Kayla Van de Groot. Elle a dix ans de plus que lui, mais il la croise de temps en temps dans les couloirs, car la jeune femme revient passer le bonjour à ses anciens professeurs, presque tous les mois. Ce qu'il ignore, c'est qu'elle repère le terrain pour les Ombres, dont elle est assiste l'éclaireur, place qu'elle occupera plus tard. Cédric en tombe follement, éperdument, stupidement, amoureux. Lui qui n'a jamais aimé, ne brûle plus que pour Kayla. Et elle finit par s'en apercevoir et par découvrir son don. Cédric maîtrise l'électricité. Un don rare et puissant, qu'elle voit bien dans les rangs des Ombres. Cédric et elle ont une rapide aventure à laquelle elle met vite fait un terme. Cédric, pour ne pas se complaire dans son désespoir, change du tout au tout. Il quitte son air triste et renfrogné et devient le personnage fol-dingue, boute-en-train et un peu stupide sur les bords que les élèves d'Orilla adorent. Il quitte l'université à la fin de sa troisième année et prend la route de Pékin, où il intègre l'école de cirque. Il y valide ses études et, après avoir quelque peu exercé, il voit Kayla resurgir dans sa vie. Elle lui confie innocemment une mission, tout en lui cachant le but ultime de la présence d'un espion à Orilla. Il doit y être embauché comme concierge. L'actuel prenant sa retraite, la chose est aisée. Cédric devient donc concierge d'Orilla et, depuis trois ans maintenant, il couve les élèves de son regard amusé et plein de vie, ayant un petit faible pour les étudiants Jagurans, maison qu'il aurait voulu fréquenter si on ne l'avait envoyé chez les Condores.

Il y a eu le Cédric renfermé sur lui, taciturne, peu souriant. Mais ça, c'était avant que Kayla lui brise le coeur. Il a finalement réalisé qu'il ne gagnerait rien à tout le temps faire la tronche. Alors avec ses années de cirque, il est devenu un autre homme. C'est à présent un jeune homme totalement déjanté, capable de se transformer en un gamin de cinq ans. Loufoque, souriant, déjanté, heureux de vivre, il cache cependant au fond de lui la profonde blessure d'avoir toujours été le délaissé de sa fratrie. Il compense ce mal profond par de grands sourires, des blagues faîtes aux élèves et même aux professeurs, il organise des concours de chant et de danse dans les couloirs d'Orilla, cache des pâtes à pet sur les sièges des profs, fait bouger les ordinateurs, maîtrisant l'électricité. Il adore raconter des blagues, qu'elles soient salaces, toutes mignonnes, ou bien vraiment lourdes. Tant qu'elles font rire... Il a également une immense capacité à voir la vie du bon côté, toujours appelé en renfort par les profs pour remonter le moral d'un élève. Les étudiants d'Orilla peuvent compter sur lui, en toute situation. Il est un peu devenu le psy de l'école et son côté jovial en exaspère certains, car il a tendance à la ramener un peu trop, avec sa joie de vivre qui, après tout, reste très superficielle. Mais il y a cette élève... Elle le rend dingue. Il sait parfaitement que les relations entre l'équipe d'Orilla et les étudiants sont strictement interdites, mais il ne peut s'empêcher, lorsqu'il l'a croise dans les couloirs, d'avoir des images qui s'imposent à son esprit. De son côté, la demoiselle ne semble pas insensible à son charme d'Italien. Peut-être...





Cédric fait très attention à son look. Élevé par une Italienne, il a pris goût aux beaux habits que l'argent de son père lui permettait de porter. Sa période d'études à Pékin, sans le sou, lui a beaucoup pesé. Mais dès qu'il a trouvé une place à Orilla, le salaire de concierge, bien que petit comparé à celui des autres profs mais bien supérieur à la moyenne mondiale du fait de la richesse du monde magique, lui a enfin permis de se vêtir décemment. Mais même si son salaire lui permet des achats onéreux, il se rabat sur des vêtements de moindre coût mais tout aussi chics. Ainsi, jamais les élèves ne le verront avec un costard-cravate. Il déteste ça. Il aurait la désagréable impression de ressembler à son père, ce dont il essaye de s'éloigner le plus possible. Un jean brut, un blouson en cuir, sa chevalière en argent portant les armoiries de sa famille maternelle italienne, des cheveux savamment coiffés comme s'il venait de courir un marathon, une paire de baskets colorées ou bien des chaussures en cuir, un t-shirt des Rolling Stones, d'Andy Warhol ou bien une chemise à carreaux. Un style décontracte, mais très recherché. Ne vous avisez pas de lui faire comprendre qu'il s'habille mal, il se ferait alors un plaisir de vous faire visiter son dressing et, étant Italien, la chose risque d'être longue...

Le jeune homme releva la tête, les larmes perlant sur ses joues. Agenouillé sur le sol de dalles froides, les mains jointent en supplication, il attendait la réponse de la splendide créature blonde debout devant lui, appuyée d'un air lasse contre la console de bois ornant l'entrée de la demeure Raïm-Uboldi. Le regard de Cédric s'abandonna dans la contemplation des courbes de sa muse. Les images de leurs ébats lui revenaient à l'esprit, comme tant de cicatrices qui se ré-ouvrent. Il ouvrit la bouche, mais la voix impérieuse de la magnifique jeune femme le fit taire.

- Ta maison est très belle, Cédric. Mais si tu souhaitais m'impressionner pour que je ne te jette pas, c'est loupé, mon canard. Sa voix, aiguë et amusée, résonna contre les murs vides. Le coeur de Cédric se serra. Il baissa la tête et le rire qui s'échappa des lèvres tant désirées acheva de le lui briser.

Kayla Van der Groot passa sa main sur le visage de Cédric et un sourire carnassier se dessina sur ses lèvres pulpeuses. Elle trouvait ce garçon tout à fait à son goût, mais tellement renfermé. Elle voulait d'un winner, le genr d'homme capable d'asservir un pays entier. Mais Cédric n'aurait fait qu'un suiveur, même pas un bras droit. Kayla voulait régner sur le monde et pas se retrouver liée à un imbécile et un perdant pour le reste de sa vie.

Cédric glissa sa main dans sa poche droite et serra avec force le petit coffret de velours contenant l'anneau en or blanc avec un diamant qu'il comptait lui passer au doigt. Cédric regarda la jeune femme quitter sa maison sans lui jeter un coup d'oeil. Il se releva et balança l'écrin à travers la fenêtre. Le verre éclata, attirant les domestiques. Ils s'étonnèrent de trouver leur jeune maître, le croyant au Pérou. Leur étonnement fit rapidement place à une grande joie. Si les domestiques de la maison détestaient leur patron, ils avaient élevé Valentino, Noma et Cédric, l'équipe travaillant pour Icham Raïm depuis près de quarante ans. La génération suivante était restée à son service et les trois enfants de la famille avaient été élevés en même temps que les enfants des domestiques, devenus leurs amis les plus proches et leurs confidents, même si leur mère leur interdisait de faire copain-copain avec des "sous-espèces", comme elle osait les nommer.
Entra alors une jeune fille de seize ans, cadette de la cuisinière et amie proche de Cédric, qui la considérait comme sa petite soeur. Elle vit le visage de Cédric et s'avança vers le bar du salon, servant un whisky qu'elle lui apporta, un sourire aux lèvres et posa sa main sur son épaule.

- Merci Maria, murmura-t-il.

Le jeune homme prit le verre et sortit de la maison. Marchant sur la terrasse, son regard se perdit dans l'immensité du parc de sa demeure. Il n'aimait pas cette immense maison, où il n'avait jamais trouvé de bonheur. Il posa son verre sur le sol, retira ses chaussures, remonta le bas de son pantalon et, en hurlant, dévala la pente de son jardin. L'air entrant dans ses poumons lui donna un nouveau souffle. Il allait recommencer sa vie. Tout recommencer. Du début.

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